Point Finance

Les caisses de pensions s’intéressent enfin aux marchés privés

La question des placements alternatifs est probablement celle qui suscite encore le plus de controverses au sein des Conseils de fondation. Certaines institutions de prévoyance ne veulent tout simplement pas en entendre parler, tandis que d’autres dépassent largement la limite des 15% spécifiée dans l’OPP21.

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Robert A. Seiler

Directeur adjoint | PRISMA Fondation, Morges | CIO | Key Investment Services (KIS) SA, Morges



Parmi les «neinsager», on trouve en général les caisses de pension ayant opté pour une gestion 100% passive, souvent sous l’influence d’un consultant. Comme il n’existe pas de solutions d’investissement passives dans les classes d’actifs alternatives - qui représentent par définition des stratégies gérées activement - la logique est donc implacable. C’est totalement à l’opposé du «Yale Model» largement suivi par les fondations des grandes universités américaines qui investissent les trois quarts de leurs portefeuilles dans les marchés privés et les Hedge Funds… et qui a réussi à surperformer les actions américaines sur les 35 dernières années2 – qui est pourtant l’une des meilleures classes d’actifs de ces dernières décennies !

La problématique de l’illiquidité intrinsèque à la plupart des classes d’actifs alternatives, parfois donnée comme raison de ne pas y investir est, en revanche, doublement fallacieuse: d’une part, les caisses de pension investissent largement en immobilier direct, classe d’actif illiquide s’il en est; et d’autre part, s’il y a un type d’investisseur qui peut supporter le risque d’illiquidité, ce sont bien les caisses de pension, avec un horizon-temps d’investissement en théorie illimité3.

Partant du principe que la plupart des institutions de prévoyance suisses ont objectivement la capacité d’investir dans des placements alternatifs, se pose la question des bénéfices qu’elles peuvent en tirer. Les trois principaux sont:

a/ un supplément de rendement dû à l’illiquidité («prime d’illiquidité»);
b/ une diversification des sources de performance du portefeuille («primes de risque»); et
c/ une réduction de la volatilité liée à la valorisation périodique (pas de «mark-to-market») de ce type d’investissements.

Analysons-les (très) brièvement:

La prime d’illiquidité. En Private Equity, on estime que la performance annuelle nette générée à long terme devrait être supérieure de l’ordre de 3% à 5% à celle des indices larges d’actions. Ceci au prix d’un investissement bloqué pendant dix ans ou plus4. Cette prime provient de la croissance des fonds propres des sociétés en portefeuille, découlant directement des décisions du «General Partner5» qui est aux commandes. On constate également depuis plusieurs années que de plus en plus d’entreprises restent privées - ou redeviennent privées après avoir été cotées – ce qui confirme que la création de valeur se fait de plus en plus dans les marchés privés6. Bien entendu, il n’y a aucune garantie ex ante d’obtenir ce type de performance, et l’on constate une assez grande dispersion entre les gérants. Etant établi7 qu’il existe une certaine persistance de performance parmi les bons gérants, toute la difficulté réside finalement à pouvoir y avoir accès.

La diversification des primes de risque. Même si l’on considère que le Private Equity est du risque actions, et le Private Debt du risque crédit, on constate une décorrélation liée essentiellement à la manière d’évaluer ces actifs (cf. point ci-dessous). D’autres classes d’actifs alternatives, comme les Hedge Funds, permettent aussi d’obtenir des performances souvent fortement décorrélées des classes d’actifs traditionnelles, cette fois en raison d’utilisation de stratégies dynamiques et non-linéaires (en particulier parmi les gérants Global Macro et CTAs/Managed Futures).

Absence de «mark-to-market». Dans les marchés privés (comme en immobilier d’ailleurs, où chaque bien est unique), il n’y a pas de «prix de marché» pour évaluer directement les actifs sous-jacents, qui sont donc soit marqués au coût d’achat (typiquement, la dette privée est évaluée au pair en l’absence d’élément défavorable), ou sur la base d’une évaluation basée sur une méthodologie, comme dans le Private Equity ou les Infrastructures (le plus souvent à partir d’une mesure de profitabilité comme l’EBITDA). La fréquence d’évaluation étant typiquement trimestrielle, cela signifie quatre VNIs par an, à comparer avec plus de 200 pour un fonds traditionnel dont la VNI est publiée quotidiennement. Même dans les Hedge Funds, qui investissent généralement dans des actifs très liquides, les fonds ont le plus souvent une valorisation mensuelle. On comprend aisément l’impact positif de ce type de placement sur la volatilité d’un portefeuille, surtout en cas de turbulences sur les marchés, à l’instar du 1er trimestre 2020 ou encore l’année 2022.

Enfin, la question des frais de gestion de ces stratégies, en général bien plus élevés qu’en gestion traditionnelle en raison de la présence de frais de performance, est souvent citée comme un répulsif naturel pour toutes sortes de raisons, qui relèvent parfois plus de l’orthodoxie que du rationnel. Certes, le risque existe de se retrouver bloqué dans un fonds illiquide non performant et chargeant des frais élevés. Ce risque peut être réduit de manière substantielle en effectuant une «due diligence» rigoureuse sur le gérant et la société de gestion, mais également sur les termes du fonds en question, dont la complexité sémantique est souvent élevée. L’utilisation d’experts dans ce domaine est dès lors recommandée.

Mais à la fin, ce sont les performances nettes de frais qui comptent pour les investisseurs; et personne ne devrait se plaindre de payer des frais élevés pour obtenir une performance au-dessus de la norme. Et c’est l’une des plus fortes raisons qui poussent aujourd’hui les investisseurs institutionnels à s’intéresser enfin sérieusement aux marchés privés.

Pour répondre aux besoins croissants de ses membres-investisseurs, PRISMA Fondation a lancé trois groupes de placements dans ce domaine: PRISMA ESG Private Equity Co‑Invest 1 (2021), PRISMA ESG Global Infrastructure (2023) et PRISMA Alternative Multi-Manager (2023), tous gérés par des sociétés de gestion de premier ordre.


  1. Le Conseil de fondation peut en effet décider de déroger à ces limites. ↩︎

  2. Performance nette annualisée du Yale University Endownment Fund: 13,7% vs 12,0% pour l’indice S&P 500 sur la période 1985 – 2021 (Sources: The Economist, Bloomberg). Environ 60% de l’alpha provient de la sélection des gérants, et 40% de l’allocation d’actifs, selon le fonds. ↩︎

  3. En pratique, une gestion saine nécessite de garder une certaine flexibilité financière en raison de contraintes internes, notamment en cas d’une liquidation partielle. ↩︎

  4. En réalité, le capital initial est retourné 5–7 ans après le dernier appel de capital, et les distributions suivantes représentent la performance réalisée. ↩︎

  5. Le gérant du fonds de Private Equity. ↩︎

  6. On constate également un phénomène croissant de transactions entre fonds de Private Equity. Pour capturer le plus de valeur, il est donc préférable de s’intéresser aux fonds spécialisés dans le «Mid-Market». ↩︎

  7. Il existe de nombreuses études, mais on peut citer celle-ci: https://www.schroders.com/en-us/us/institutional/insights/is-there-persistence-in-private-equity-returns ↩︎

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